Le curé de Berviller accusé de détournement

M. Pierre Juncker était curé à Berviller de 1765 à 1793. Bien sûr, il ne s'agit pas ici de détournement de fonds ni de détournement de mineur mais du détournement de l'eau de " la source de Fayacle ".

Tout le monde la connaît mais très peu pourrait la nommer par son véritable nom : " la fontaine de Fayacle ". Dans le fond de la rue de la fontaine, elle jaillit depuis des siècles sans jamais avoir été à sec. Chacun y a déjà puisé de l'eau pour laver sa voiture ou arroser ses plantes par temps de pénurie ou tout simplement pour se désaltérer. Déjà au temps du roi Louis XV, elle diffusait ses bienfaits et on se disputait la propriété de son eau. Au mois de juillet 1765, le conseiller du roi enquête sur ce détournement. Voici le début de son procès-verbal :

" Ce jour d'hui dix sept juillet mil sept cent soixante cinq, neuf heures du matin en la maison de Nicolas Scholtus habitant de Berviller hôtel par nous choisi à la place de celui du maire fixé par notre ordonnance du quinze du courant à cause de l'incommodité de la maison du même maire.
Par devant nous François Nicolas Bouvier du Molard, conseiller du roy, lieutenant particulier au baillage de Bouzonville, commissaire en cette part, sont comparus…"

Les plaignants : Henry Hasse et Marguerite Weiten, sa femme, censitaires au moulin domanial de Felschling, assistés de Me Welter, avocat procureur et accompagnés des 8 témoins suivants : Christophe Hoff demeurant à Rémering, âgé de 37 ans, Adam Jean Mark, laboureur du même lieu, âgé de 50 ans, Jacob Lang, cordonnier, 59ans, Guillaume Théobald le jeune, 23 ans, Philippe Grune, laboureur, 64 ans, Jean Engler, tisserand, 56 ans, Antoine Decker, tisserand, 52 ans, Jean Pierre Bertin, laboureur, 40 ans, les six derniers habitant Berviller.
La partie adverse : M. Pierre Juncker, prêtre curé dudit Berweiller est assisté de Me Terrier, avocat procureur.
Un arpenteur : le Sieur Nicolas Cordonnier de Hestroff qui dressera une carte topographique des lieux.
Un interprète, également présent, fait prêter serment à toutes les personnes présentes.

Les éléments de l'accusation :

Henry Hasse, meunier du moulin de Felschling et son épouse se plaignaient du détournement de l'eau de la source de Fayacle par M.Pierre Juncker, curé de la paroisse, en vue de la création d'un réservoir. (Il devait s'agir d'un étang, le lieu-dit s'appelant encore aujourd'hui " Weiher ", c'est-à-dire étang.) D'après eux, cette source apportait son eau au ruisseau de la Weissbach et contribuait ainsi, pour plus d'un tiers, à faire moudre le moulin de Felschling même par temps de grande sécheresse et tous les meuniers ont eu, depuis un temps immémorial, la possession et la jouissance libre de cette eau.
Ils reprochent également au curé d'avoir successivement et depuis quelques années fait l'acquisition des parcelles sur lesquelles se trouve la source et celles entourant le coulant des eaux de la fontaine de Fayacle à un prix exorbitant dans l'unique dessein qu'en étant le propriétaire, il serait le maître absolu de l'eau.
Autres observations des meuniers : " Dans les lieux contentieux, rien ne dépend de l'église de Berviller. Il ne convient donc pas au curé, pour ses plaisirs et au détriment notable de son prochain, d'avoir des occupations particulières qui le détachent probablement de ses devoirs et de ses fonctions pastorales avec d'autant plus de raisons que les revenus de son bénéfice indépendant de ceux de ses biens patrimoniaux dont il jouit lui sont plus que satisfaisants pour ses nourritures et entretien honorables ". Suivent encore quelques autres remarques à l'encontre des travaux effectués par le curé en vue de la réalisation de l'étang.

Les éléments de la défense :

Le terrain dans lequel existe la source sous terre de la fontaine appartient au comparant en tout droit de propriété et l'eau qui provient de cette source s'écoule à la sortie du dit terrain, en nature de jardin et verger, dans une auge de la longueur d'environ vingt pieds qui sert aux habitants de Berviller d'abreuvoir pour leurs bestiaux et pour y laver des linges lessivés, le reste de l'eau se dispersant sous terre et dans les champs en contrebas du chemin en sorte qu'il n'en tombait que très peu dans le ruisseau provenant des sources de Sainte Orane et de Berviller.

Pour le faire tourner, le moulin de Felschling profite principalement des eaux des ruisseaux qui descendent de Reimering et d'une fontaine dont les eaux se joignent un peu au-dessus dudit moulin au ruisseau qui découle des fontaines de Sainte Orane, de Berviller et de la Dorrbach.

Les eaux du réservoir, une fois celui-ci rempli, se déversent dans le ruisseau sans qu'une seule goutte ne peut se perdre.
Suivent d'autres éléments intéressants que nous ne pouvons pas tous rapporter ici.

Les résultats du jugement

Les résultats du jugement prononcé suite à cette enquête ne nous sont pas connus, les cartes topographiques dressées par l'arpenteur et le jugement n'ayant pu être retrouvés. La mémoire du " bouche à oreille " nous a transmis à travers plusieurs générations que M. Pierre Juncker, curé de la paroisse, a eu gain de cause. Pour améliorer son ordinaire et ses revenus, le curé avait fait creuser ces réservoirs pour y pratiquer la pisciculture. Les anciens parlent même de deux étangs, existant avant-guerre, au lieu-dit Weiher (étang en français) et on peut voir, aujourd'hui encore, leurs emplacements. Monsieur Roger Bausch, propriétaire actuel du " Weiher ", entretient amoureusement ces lieux dont il a fait un superbe verger.

Détail intéressant : le curé Pierre Juncker ainsi que sa sœur sont inhumés à l'intérieur de l'église Saint Fiacre, devant l'autel de la vierge.